Nobody Said It Was Easy

« C’était un soir d’été. J’avais une robe si légère que l’on pouvait distinguer la forme de mes hanches au travers. Un vent tiède soufflait par ma fenêtre ramenant les odeurs parfumées des plats épicés des voisins. J’étais étendue de tout mon long sur mon canapé et les Jesus and Mary Chain chuchotaient une balade dans mon enceinte. Tout d’un coup, on sonna à ma porte. Qui cela pouvait-être ? Je n’attendais personne, et surtout pas à cette heure-ci, et pourtant je savais. Je savais que c’était lui. Son parfum m’enivrait déjà au travers de la porte et je sentais la température ambiante monter d’un cran. Doucement, j’ouvrais la porte, il me prit dans ses bras et m’allongeât lentement mais avec fermeté sur ma table et… » Stop.

 

Je ne sais pas vous mais en écrivant ces lignes je n’ai pu réprimer un fou rire de cinq bonnes minutes avant de recommencer, tant bien que mal, à décrire rapidement un début d’aventure érotique.

Vous ne vous en doutiez peut-être pas en cliquant sur ce texte mais je ne suis pas là pour vous parler de mes fantasmes pour la bonne raison que je n’en ai pas. Je n’en ai pas et je n’en ai jamais eus d’ailleurs. Enfin si, quelques-uns vite réalisés avant même d’avoir 16 ans et puis plus rien. Le vide, le néant. Rien. J’ai beau me creuser la tête, appeler un ami, consulter internet, demander de l’aide au public… Duand ça veut pas, ça veut pas.

Avant de me baser sur une opinion tranchée et négative quant à l’indifférence que j’éprouvais pour les fantasmes j’ai essayé de comprendre pourquoi et comment j’en étais arrivée là. Une brève consultation de certains sites féminins résumant grossièrement mon manque d’imagination sexuelle à une bizarrerie blâmable résultant de troubles psychologiques m’agaçât particulièrement. Par qui étaient-ils définis ? Par quoi ? Aucun n’avait réellement une idée précise mais toujours est-il qu’être une femme sans fantasme me décrédibilisait en tant que telle. Un peu vexée par cette approche forte de café j’ai tout d’abord pensé à me consoler en me disant que mon fantasme serait peut-être d’en avoir un mais encore une fois cette psychologie de comptoir ne me faisait pas effet. (Décidément, rien ne me fait effet.)

En appelant un peu à tour de rôle mon cercle d’amis j’ai réalisé que je n’étais clairement pas la seule à ne pas avoir de fantasme et à trouver ridicules les récits érotiques. Soit j’étais entourée de personnes toutes aussi allumées que moi psychologiquement soit ne pas avoir de fantasme faisait de moi quelqu’un de normal. Ouf. Dans les deux cas, la situation proposée me convenait. Cependant, une phrase que j’ai pu moi-même prononcer avait tendance à revenir un peu trop souvent : « moi, mes fantasmes, j’en ai pas. Je les réalise tous directement. »

Le parallèle avec les réseaux sociaux et internet ne se fit pas attendre bien longtemps et ma réaction en vint à me demander s’il n’y avait pas une certaine corrélation entre notre usage d’internet pour satisfaire tous nos caprices et la perte d’imagination de mes contemporains.

Chaque demande peut être exécutée dans l’heure à celui qui y met une barre de 4G et quelque fois la main au portefeuille. En passant par les sites pornos, les applications de rencontre ou encore les clubs échangistes chaque désir peut-être comblé ou du moins regardé de loin. La pornographie a offert à la génération Y un accès direct à une sexualité complètement fantasmée où il suffit de rentrer dans une barre de recherche un désir particulier pour pouvoir voir des gens l’exécuter pour nous. Passant du trash au soft, sans quitter réellement son canapé, ma génération imagine et voit plus que les autres. Non seulement nous nous sommes isolés mais en plus, nous n’avons plus aucun fantasme.

Durant mes recherches j’ai essayé de comprendre les fantasmes et en arriver à une vision plutôt pessimiste : les fantasmes sont égoïstes.

BDSM, sextoys en tous genres, préférences raciales, plusieurs personnes, lieux insolites…En comblant tous nos désirs pour réaliser nos fantasmes, nous utilisons donc les autres dans le seul et unique but de jouir. Nous giclons sans nous en rendre compte sur des préférences esthétiques considérant le/la/les partenaires comme des objets de désir. D’ailleurs nous employons bien l’expression « objet de mes fantasmes » pour qualifier une personne. Lorsque nous réalisons un fantasme, avec un peu de chance nous ne sommes pas déçus mais c’est surtout nous-même que nous baisons à travers l’autre. Vouloir à tout prix une vision idéalisée du sexe à plusieurs n’est donc pas forcément, en tout cas pour quelqu’un de terre à terre, quelque chose de vraiment bénéfique.

 

Ne pas avoir de fantasme ne me colle donc pas l’étiquette du « club des cinglés » mais seulement celle d’une femme libre, qui au lieu de rêver se permet des choses que les générations précédentes se permettaient moins. Je n’ai plus à attendre qu’une chose arrive, si je souhaite la réaliser, je la fais. En revanche, il est toujours de ma capacité et même de mon devoir de me laisser surprendre par la vie, ou du moins par les autres.


Texte et autoportrait de Léa Denet

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