La Chambre

Les draps en coton épais, qui accrochent sous la pulpe des doigts. Il ne faut pas que les choses glissent trop, coulent et s’échappent. Il faut que la matière lui résiste un peu, que l’oreiller lui rappelle la langue rappeuse du chat lorsqu’elle y frotte la joue. Alors les rideaux se dressent contre la fenêtre dans un tulle raide, la commode a des veines rugueuses, les barreaux en fer du lit, des aspérités délicieuses. Elle passe les doigts, repasse les contours, le paysage de la chambre, avec les yeux.

Un jour, sa mère lui a dit qu’elle n’avait jamais eu de chambre à elle. Il avait toujours fallu partager depuis l’enfance. Elle, se souvient de celles qu’elle a possédées, dans lesquelles elle a pu se réfugier, se rouler contre elle-même et s’étirer, immense, sans avoir personne à gêner. Celles qui l’ont autorisée à jouir de sa solitude bien-aimée. Celles dans lesquelles elle a pu inviter et puis inviter à partir.

Ce matin encore, elle se réjouit de la lumière qui a changé lorsqu’elle ouvre les rideaux. Elle se remet au lit et coule bien au fond des draps toujours tièdes de la nuit. Son ventre est chaud, ses seins plus lourds que d’habitude dans son t-shirt trop grand. Elle pense à la serviette de bain épaisse, un peu dure, qu’elle étend sur le lit tous les mois et où elle se laisse saigner, libre, la nuit. Au réveil, un peu de sang a séché contre ses cuisses et elle regarde l’eau de la douche se colorer. Parfois, elle retourne s’étendre dans son peignoir humide, bénit le silence qui lui appartient et obéit aux caprices de ses pensées. À ses propres caprices, celui d’invoquer un corps imaginaire contre le sien.

La nuit, les contours de la chambre et de chaque chose s’effacent. Elle tend l’oreille, provoque de toutes ses forces le bruit de pas qui se rapprochent. Une créature, surgie de l’obscurité et de son ventre tendu, attend derrière la porte. Elle n’a plus qu’à la laisser pénétrer la chambre, glisser contre son dos brûlant. Dans son sommeil étrange, elle peut presque la toucher. Elle presse la chair de cet être inventé et lui donne la forme de son désir.

La lumière crépusculaire la traîne hors de ses rêves. Le matin paisible, secret, lui appartient. Elle frotte ses jambes duveteuses l’une contre l’autre. Entre les deux, elle fait courir ses longs doigts comme des pattes d’araignées, se caresse. Dans sa lente et profonde respiration d’animale, dans ses tressaillements et ses palpitations, seule dans sa chambre, son palais, elle se célèbre.


Nouvelle de Caroline Pil

Illustration d’Ana Jarén

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