Indéros N°19

Albums libres, âmes libres, cavalcades, cascades sur le papier. Les albums qui ont récemment compté pour Charly Lazer sont ici.

Spelling – Mazy Fly

Je m’empiffre ivre de bretzels, et je suis même pas sûr que ce soit vraiment ça, car je les avale sans réfléchir, machinalement, chaque bretzel entre dans ma bouche et mes dents abîmées le broient. Je relis comme pour la première fois cette lettre qui nous était pas adressé et qui frôle le mur de notre cuisine. Je me dis qu’à cause de cette lettre mal administrée et jamais réceptionnée une histoire d’amour a été assassinée ou sauvée. Me voilà déjà défaisant mon pantalon, mes poches déversant une multitude de pièces destinées à me faire croire en une richesse particulière, unique et merveilleuse. Je cherche mon grand verre d’eau, posée pas loin, car sans lui ma conscience est un désert. Les bretzels ont failli tuer Bush. Pas le groupe de rock qui reviendra dans un an. En retard, comme toujours, la mode. Le président que tous les rockeurs désavouaient. Quoi de plus démocratique qu’un t-shirt ? Je voudrais caresser des seins libres sous un t-shirt apolitique. Un t-shirt sans compromis. De petits ou de gros seins. Mais des tétons en or. De l’or sur ma langue. Un téton qui balance des rayons UV si puissants que je crame aussi sec. Mon bras s’est gorgé de sel et flagelle désormais, ce sera peut-être ma dernière chronique et le dernier disque que j’écouterai de ma vie. Je m’envole, mais la vie est un labyrinthe. Labyrinthe, ce film qui m’a terrassé. Cet album est une petite merveille, et personne sauf les bonnes gens entendront jamais parler de Spelling. Sauve ton âme.

World Brain – Peer 2 Peer

C’est en crachant un mollard dans un mouchoir usagé que j’ai eu l’idée de t’écrire ces mots. Dans le métro, un pauvre type a essayé d’insulter ma mère et je l’ai regardé comme pour lui faire comprendre que j’aimais ma mère plus encore mais que je pensais qu’il ne savait pas bien ce qu’était l’amour. Et puis le métro a continué sans lui, et plus j’avançais et plus je m’éloignais surtout de toi. Et près de chez moi, j’ai recraché dans ce mouchoir un truc qui obstruait ma gorge, un bout de mon cerveau, et je suis monté dans ma chambre t’écrire, c’est pas plus simple que ça. J’ai aussi écrit à un de mes meilleurs potes pour lui dire que je t’aimais plus encore ce soir qu’hier et que j’étais un vieux plouc. Et puis un second texto trente secondes plus tard pour dire « Mais j’aime bien cette mélancolie, cette envie de chialer mes sourires évanouis ». Ça t’arrive souvent à toi de t’asseoir à côté d’un garçon et de sentir que c’est ton âme sœur ? C’est rien qu’une sensation, mais si profonde, qu’on y croit. C’est vrai que je pourrai me taire et garder tout ce que j’ai sur le cœur, l’enfermer dans ma boîte crânienne et crâner chichement chaque fois qu’on se croisera. Mais la réalité, le temps et l’espace, est une vertu abstraite que je n’ai jamais maîtrisée, peut-être parce que je suis sagittaire. T’es vulgaire, parfois, tellement que je m’y perds, parfois, avant de réaliser que si je me sens si proche de toi c’est que je dois l’être aussi derrière mes airs. Tu me foudroies. C’est juste ta respiration, c’est juste de l’oxygène, je m’enivre je le sais, pour rien, pour toi, comme un rêve ultra. Je t’imagine dans des villes lointaines ou pas tant que ça, mais qui font en tout cas qu’on ne pense plus à l’autre, j’imagine que tu ne penses déjà plus à moi, mais j’ai envie que tu saches que j’ai pas envie de t’oublier.

Show Me The Body – Dog Whistle

C’est la canicule partout dans la ville. Je suis comme un plat de spaghetti qui attend de se faire cumshoter ; j’aimerais beaucoup que tu lèches ma rétine au lieu de l’attiser comme un petit feu de bois sur la plage entouré d’ados qui n’attendent que ça, que de se rouler des pelles, que de se passer des doigts sous les vêtements puis les lécher comme si c’était la bolo à papa alors qu’en fait c’est bien meilleur que ça. Tant de naïveté aveugle comme le bonheur, le punk rock c’est la canicule. On a envie de tout péter mais on est bien trop mou et suintant alors on se contente de se frotter les uns aux autres dans ce ballet désordonné, une orgie illogique, c’est purement sentimental et sensationnel. Tout crame, tout affame. Le ventre plein, les couilles vides, le cerveau par-dessus la mêlée, ça doit être une forme de légèreté spirituelle. Je m’imagine en train de faire un micro-trottoir sexuel, poser à des inconnus des questions sur le corps, leur intimité, leurs rapports, et leur demander de me montrer un bout de sein, de cul, de couille, de cheville, de cou, de gorge, d’épaule. Je rêve d’un futur où l’eau tomberait directement dans la bouche des morts de soif. Il arrive. C’est un pitbull sans muselière. Il court vers moi.

Nothinge – The Passage Of The Obscurantist

Une fille joue avec sa langue dans le métro. Elle a peut-être pas l’âge d’être sage mais la langue salivante et sans gêne; la bouche à moitié ouverte, se tenant là juste à côté de moi, presque sur mon épaule. Une fille marche dans la rue, son cul est incroyable, dans sa mini jupe à carreaux. Je me dis que toutes les filles du Monde devraient avoir un super cul. Quelque part ce serait logique. Nous, autres garçons, c’est pas pareil. Suffit de comparer une sodomie dans un porno gay et dans un porno hétéro. Les culs masculins ne réagissent vraiment pas pareil. Mais je rentre chez moi, et je suis seul au Monde. Alors à quoi bon théoriser les culs, moi aussi j’aime les chips Lays et les bonbons Lutti, les glaces Extrême, je suis pas une lumière, et je cris que ce monde est rempli d’anges, un peu pris dans les remous de ce tourbillon. J’y passe comme une libellule dans un micro-onde. Les filles sont belles dans cette satanée ville. Elles me font peur. Je les imagine vieilles. Puis je me focalise sur leurs lèvres divinement dessinées. Le printemps est arrivé du jour au lendemain. Je l’ai senti, les messages de certaines filles, dès l’aube. Ça n’a pas duré. Je suis seul, je suis un obscurantiste, je viens de me racheter un smartphone, je suis un bon à rien, un chômeur, un pervers, un romantique, un trou du cul.

J.McFarlane’s Reality Guest – Ta Da

Oui j’aime ce que tu dis. Je t’écouterais bien des heures. La tête posée sur tes genoux, regardant le ciel bleu, le son de ta voix drapée de vent dans les arbres. Si on était gosses on y grimperait, on se cacherait à leurs sommets parmi les oiseaux endormis, et on s’embrasserait le cœur vivant. Être adulte c’est pas chaque jour facile. On se torture, on est victime et bourreau et on comprend même pas pourquoi. Alors cessons un peu de se flageller et en même temps on cessera peut-être de souffrir. On n’a même pas d’ennemi. C’est un leurre. Tout le monde est juste là pour s’aimer. Tout le monde est là pour le plaisir. Parfois y’a des gens à qui j’ai envie de mettre le feu. Et pas un feu d’amour ardent et bandant. Plutôt un truc cancérigène. Mais mes désirs sont minimalistes comme les chansons de J. Macfarlane’s Reality Guest. Quand t’en veux trop et que ton cœur est inapte, choisis bien les chansons que tu écoutes. Tu y trouveras peut-être tes prochains rêves.

ps. Cette nuit j’ai rêvé que je vivais une fin du Monde très étrange. Des créatures totalement mignonnes venaient assassiner toutes les personnes que j’aime. Des mercenaires lourdement armés venaient finir le boulot. Ils me tournaient autour mais sans m’assassiner et moi je m’en allais et puis j’arrivais dans une espèce de grande salle des fêtes ou une MJC et y’avait des cours trop mignons pour les enfants où tout le monde était déguisé de façon trop chou, alors que dehors c’était le jugement dernier, littéralement. Plein de choses se sont passées, et à un moment je suis sorti du rêve, comme pour reprendre ma respiration. J’y suis revenu, tout était plus chaotique encore, mais j’y ai retrouvé une ex, et on a commencé à se chauffer, et j’avais une érection qui déformait incroyablement mon pantalon en toile légère. Elle a fini par la toucher par inadvertance, et comme c’était une ex qui aimait beaucoup ma queue elle s’est mise à la caresser pendant que je caressais son adorable cul. C’est le moment où j’ai décidé de me réveiller, je me sentais si bien. Et je me dis maintenant que cet album écouté avant de me coucher hier n’y était peut-être pas complètement pour rien.

TG Gondard – Musique tirée du film « La Forêt » & Accou – Seulaison

La saison de la solitude, celle où on s’enferme avec ses peurs, ses doutes, ses vertiges. J’irais bien me planquer dans la forêt, et comme j’hésite je reste dans ma chambre à crever de chaud à écouter les deux dernières sorties pré-estivales du Syndicat des Scorpions, cette maison dangereuse, venimeuse, qui dans le même temps est l’antidote à ma digitale perdition. La forêt où on aime se perdre. Les sons qui nous baladent, qui nous donnent le vertige, le poids des années dans les arbres immenses et immortels. On est mieux quand on est seul. Mais finir seul, ça donne envie de crever. Sauf dans cette forêt. Quand la nuit tombe et que les biches passent à côté, le regard vague comme des petits synthés qui tournent et nous endorment. Les sangliers qui nous font courir et grimper et hurler de rire dans les branches qui craquent. La forêt comme seule issue possible au désespoir de finir seul. La forêt l’espoir. La musique l’espoir, le syndicat de l’espoir.

Rozi Plain – What A Boost

C’est jeudi, le jour où je répète avec mon groupe Merci Technologie, le soleil brûle et en chemin je remarque que la plupart des gens roulent seuls. C’est un peu comme porter une seule lunette. Dans ma rétine des images douces de Nouvelle Vague où conduire se débat en acte engagé, celui romantique de partager un moment de bravoure mentolé, d’héroïsme enfumé. Faire marche arrière dans un nuage de fumée. Les gens roulent seuls, ils sont seuls. Ils appuient sur le champignon pour arriver au bout de leurs illusions, et c’est garanti sans hallucination. La vie se suffit à elle-même, qu’ils nous sifflent, cette réalité embrochée comme un cochon de lait. À deux au volant, les poètes avaient raison, on s’émerveille, on se regarde, les champs et les contre-champs défilant, on se roule des pelles au feu rouge. J’aime vraiment mieux les voitures où ils sont au moins deux. Poésie et pollution. Deux mains qui se caressent sur le pommeau, passant les vitesses une à une comme un à un des vêtements qu’on écharpe, qu’on extirpe de nos au-delà. Toi, personne seule au volant suspendue au-dessus du vide. Les amants sur les lacs profitent du beau temps. Si tu tombes dans le lac géant, ça fera une nouvelle vague. Peut-être la toute première, éternelle, et elle rejoindra un jour le rivage, mais toi tu couleras et personne ne viendra te sauver.


Chroniques d’albums par Charly Lazer

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