Indéros N°17

8 albums passionnants pour ne jamais plus avoir froid

Boy Harsher - Country Girl + Lesser Man

Quand le soleil se couche à 15 heures 30, ça laisse de la marge pour vivre dans le noir. Marcher, un peu énervée, les yeux dans le vide, dans une rue de mon ancien quartier mal éclairée. Se faire attraper le bras par un mec, qui me coupe si fort dans mon élan que mon corps fait un quart de tour.

Pendant un douzième de seconde je suis prête à lui jeter un regard dédaigneux, l’insulter, puis reprendre ma route. Mais tandis que mes yeux remontent de son bras à son visage, je me rends compte qu’il est beau. Son regard indique qu’il est content de me voir. Je le connais ? Oui, je le connais. Il s’est coupé les cheveux mais la reconnaissance faciale a pris le relai.

On se connaît, on a baisé ensemble, plusieurs fois, c’était magnifique, carrément mystique, ça m’a fait quelque chose, même, et puis je me souviens. Pourquoi on se voit plus, ce qui m’a saoulée chez ce type, des mots que j’avais pas envie d’entendre, avoir la triste sensation d’être amoureuse de sa bite mais pas de son cerveau.

Il me demande ce que je fous là, je hausse les épaules, je lui dis « rien, je marche ». Il répond « moi aussi ».Je ne sais pas quoi faire d’autre que de mettre ma tête tout contre les mailles de son pull en laine crème qui lui donne un style élégant qui ne lui ressemble pas. Ma voix est douce et étouffée. « Désolée de m’être énervée la dernière fois ».

Je suis contente, qu’il m’ait attrapée par le bras très fort, d’avoir le visage contre son torse. Il est grand.

Je veux qu’il m’attrape partout très fort.

Nous sommes toujours dans la rue, il fait toujours noir, mais son bassin est contre le bas de mon ventre, et je sens une chaleur naître de ce contact et j’ai envie de la suivre, de la faire grandir, d’y entrer, puis de me lover à l’intérieur. (SAD)

Destroyer - Ken

Je regarde la lumière arriver dans la rue. Je la regarde par la fenêtre, par dessus mon ordinateur qui ne m’a jamais apporté que des fantasmes aisés, le désordre est mon garde-fou. Elle traverse la passerelle. Je voudrais être un chat pour marcher avec elle. Vas y, éclaire les pécheurs. Aveugle-les, ils t’en sauront gré. Dans mes vêtements d’esthéte qui jaunissent avec le temps comme mes dents que j’ai depuis enfant, je voudrais te serrer dans mes bras si t’étais une personne de chair et pas qu’un truc inmanipulable bourré de vitamines. Pourtant plus chaude que mon radiateur. La chaleur, et la torpeur, des latins transpirant au bord des routes, et de moi essayant d’écrire, en regardant des photos d’Océan. Ouais toujours là pour se perdre. Paraît qu’on est tous des merdes devant l’amour et que c’est la vie qui nous offre une chance d’aimer. Certains appellent ça Humanité. Paraît que ça serait la règle du jeu. Est-ce que ça veut dire qu’il faut que je joue à être plus insouciant ou le contraire ? Soucieux ? Je devrais t’écouter, lumière, tu as des choses à me révéler, mais je n’utilise que mes yeux, et de façon vraiment impudique. Dieu merci. L’amour né d’une étincelle, d’une erreur, d’un pas (de danse) de côté, y’a que ça de vrai dans ce monde tout ken’. (CL)

Kaitlyn Aurelia Smith - The Kid

Je ne suis qu’une Kid. Capricieuse je jette mon dévolu sur tes lèvres sucrées. Me voilà attirée comme une guêpe et inconsciente je sais que j’arriverais à atteindre ton corps abîmé. Et pour une ondulation sonore de Kaitlyn Aurelia Smith. Je te prête mon livre cd. Mais il y a une contrepartie le grand. Quand je veux quelque chose je l’ai ! C’est comme ça qu’une gosse perd son innocence. An intention. Je t’emmène derrière la gare, là où les ados enfoncent leurs langues dans la bouche des filles. I am consumed. T’es déjà recouvert de moi, derrière mes airs naïfs je ne fais plus mystère de mon désir. Pris au piège par la gamine, tu n’avais pas prévu ce qui allait se passer. Viens plus près je vais t’expliquer pourquoi. Je lève ma jupe frivole de nuit, je pose ta main timide sur mon genou… Ton air paniqué devant ta jeune prédatrice me rend mouillée. L’enfant devient roi, et c’est mon corps frêle que je colle au tien, étreinte chaude et cruelle, tu rougis un peu au début, mais laisse toi faire, je sais m’occuper de toi. J’en ai eu plein de jouets, mais toi t’es devenu mon activité préférée. Je passe ma main sous ton t-shirt blanc craqué, pas besoin de me repousser. Je suis déjà rentrée dans ton âme et je sens ta passion montée. Non ce n’est pas une erreur, juste la bosse de ton pantalon. Derrière la gare on a pas l’habitude de me voir, j’ai grandi ici et j’ai apprivoisé les gadjos du quartier. Tu te détaches enfin de tes valeurs profondes et enfonces profondément ta virilité. J’ai enfin ce que je voulais, et enfin tu regardes mes grands yeux de poupée. Reprends tes esprits, la musique est finie. Je garde ton secret promis. To feel your best. Retrouve moi demain, ici. (SA)

Fever Ray - Plunge

Tu vois, je ne pensais pas que la musique pourrait à ce point influencer mes relations avec les gens. Pourtant depuis que je suis adolescente ça me fait toujours tout drôle quand quelqu’un dont je suis entichée aime les mêmes groupes que moi, surtout quand je le découvre après avoir gratté un peu.

« Mais tu connais les paroles par cœur ! » et c’est comme si je t’avais déjà rencontrée, dans un univers parallèle, comme si ce n’était pas la première fois qu’on dansait ensemble, paumes contre paumes. Sur les murs il y a des lumières, rose, vertes, qui font penser à un bar gay des années 80 sauf que c’est ton salon. La voix retouchée de Karin a cette saveur particulière, celle d’un voyage dans le temps à travers un tourbillon d’émois adolescents, de découvertes parfois amères, et la fin de l’innocence. Un passage parfois compliqué dans une nouvelle dimension.

Tout ça c’est dans ma tête, mais j’aime croire que c’est un peu dans la tienne aussi et qu’on voyage ensemble, qu’on était déjà main dans la main quand tout ça est arrivé.

Je te regarde dans les yeux même s’ils sont tout petits tellement tu souris, et on se comprend ainsi, en tout cas on se comprend nous-mêmes, et sans se parler on ne peut pas se contredire. Je voudrais toujours communiquer de cette manière, sans un mot, en s’exprimant avec le regard et le corps, et la musique pour remplir l’air et les vides, comme dans un club.

Si ça se trouve dans cette dimension silencieuse tu es mon amoureuse, et nous n’avons toujours pas, et n’aurons jamais, vingt ans. (SAD)

Gregg Kowalsky - L'Orange L'Orange

A force de lire des romans érotiques américains, les gens ont déréglé le climat et y’a plus d’eau. Du coup, le Monde heureux envoie des oranges aux malheureux comme nous. Même la Russie. Vous le saviez, vous, qu’il y avait des oranges en Russie ? Des millions de bateaux, d’avions et de gros camions s’amènent pour nous hydrater. Moi je clicke et je clicke et puis je tombe sur son profil. Je la cherchais depuis des jours, depuis que je l’ai vue à ce concert. Et je la trouve si belle que j’espère qu’elle est lesbienne. Mais c’est écrit nulle part. Alors je descends me faire un petit jus d’orange. C’est le cinquième de ma journée, je commence à avoir des aigreurs. Et les couilles pleines. Mais bon je sais que si je me branle je vais avoir encore plus soif, et encore plus mal au ventre, en définitive. Je me presse de petits verres, j’ai trouvé le rythme, mais mon estomac pleure des larmes de verre. Certains disent que l’estomac est le centre du plaisir. Moi j’aimerais que tous ces pays gentils nous envoient autre chose que des oranges. Je regarde un peu ses cheveux. Je zoome dedans. J’écris des choses dedans. Je me dis que les français sont vraiment pourris s’ils lisent des romans érotiques des Etats Unis d’Amérique. J’ouvre la porte, mais il fait trop chaud, alors je la referme. Je mets un peu de musique, je tombe sur Gregg Kowalsky au hasard de Bandcamp. L’Orange L’Orange. Ca me fait penser au président étasunien qui est mort y’a pas une semaine. L’univers brille, le soleil me caresse les orteils. (CL)

Shame - Songs Of Praise

Cet album, je le trouve bien. Il me donne envie de me battre. Jouer à se péter les dents. Oui, je vais te gifler la joue. C’est ma bague qui lacère ta peau. Et ma force de passionnée qui te fait saigner la bouche. Prends donc cette orange sanguine plein de vitamines, ça va te faire du bien, tel que tu pourras peut-être me rendre le coup. Na garde pas de rancœur en toi, on s’amuse juste sur les nouvelles chansons que les anglais du sud ont sorti cette année. Vas-y ! Essaie. Claque ta main sur mon visage. Toute ta ténacité, je veux bien que tu me blesses, qu’on rigole un peu. Je me retrouve par terre, et les yeux un peu mouillés. Je crois que le jus de l’orange me pique fort l’œil droit. Pour me venger, je vais te taper pour de vrai dans la mâchoire, sans essayer de la briser, mais je ne peux plus m’arrêter. C’est la baston dans mon cœur et mes mains fragiles sont des petits poings de plomb bien fermés. Tu me rends ce que je t’offre, et tu me mords la nuque. Ça me fait mal et je te traite de sale hooligan, alors qu’en vrai j’en sais rien, toi et moi on ne se connait pas tant que ça. J’imagine qu’on est allés à leur concert, que Shame nous a bien retourné tout ça, et qu’on a besoin de vivre un truc bien fort et de sortir de là pleins de gros bleus. Les videurs vont venir pour nous séparer, mais on s’en fout, continuons tout ça près de ce fossé ! J’ai pris d’autres oranges dans mon sac à dos, on peut continuer encore longtemps à se bagarrer. (SA)

Groundislava - Groundislava 2

Tu m’as suivie dans cet endroit, tu m’as fait confiance et j’en ai profité comme n’importe qui l’aurait fait. Je t’ai maquillée et habillée comme pour te préparer à un rituel. Tu t’es laissée faire. Tu t’es regardée dans le miroir et tu as fait un clin d’oeil à ton reflet. C’est ton personnage pour la nuit, là où personne ne viendra te chercher. Demain tout sera parti, le rouge à lèvres sur d’autres lèvres, les cheveux collés par la sueur et les paillettes partout dans le lit. Mais pour l’instant ta coiffure est parfaite et ton air hautain tandis que tu t’accoudes au bar. Tu me demandes « Et ces gens dans des cages, ce sont des danseurs ? Embauchés par la boîte ? » Mais non ce sont juste des gens qui dansent, eux aussi ils ont leur personnage, tu vois. Un peu comme si tu avais un animal totem sauf qu’à la place d’être un lapin ou un renard tu te transformes en créature avec des bas de vinyle qui se dandine dans une cage. Une catharsis comme une autre, en somme.

Au bord de la piscine je te roule des pelles pendant qu’un mec s’affaire, la tête entre tes jambes et tu continues de me parler comme si de rien n’était. J’appuie sur sa tête en lui intimant d’y mettre un peu plus de coeur. Il répond par un bruit étouffé. Ca te fait rire. Je ne sais plus comment on en est arrivé à cette situation. Plus tard, dans le taxi tu caresses ma gorge et mes cheveux et tu me dis doucement qu’il y avait tellement de gens qui nous regardaient danser et nous embrasser qu’on devrait être payées pour ça. Je regarde les blocs gris qui fuient les uns après les autres par la fenêtre, je me demande pourquoi tu voudrais qu’on paye les gens pour tout, c’est sûrement ton éducation latine, je me demande ce qu’on fout là, si on est vraiment au bon endroit, toi et moi, je prends une photo de ton visage à l’envers avec en fond, les immeubles qui forment des masses longues et menaçantes, je réalise qu’on n’est nulle part et qu’on est rien du tout. Tu me prends la tête dans les mains, tu dis avec des yeux graves : « Si. Nous sommes un bug dans un jeu vidéo ». (SAD)

Paul Mork - Ritual Of Meditation

Je prépare une salade de fruits en écoutant l’album de Paul Mork. La proximité géographique qui nous rapproche lui et moi m’éloigne peu à peu des fruits qui se lovent dans mes mains et pleurent et éjaculent sous mon couteau. Les bananes viennent de l’autre bout du monde et ne coûtent pas très cher, la musique de Paul Mork vient de l’autre face du monde, et c’est tout autre chose. Les couleurs on les garde au chaud. On a besoin de lieux sombres qui soient créés seulement dans le but de disserter solitairement. Moi je médite en préparant une salade de fruits. D’autres le font en conduisant vite sur des routes de campagne. La salade de fruits comme remède à l’aigreur. Le fruit, c’est un rite. Le fruit c’est le symbole même de la virginité pour moi. Et le virginal est super naïf au sens beau du terme. Alors je ne m’arrête plus de faire cette salade, je vais en distribuer au monde entier, faire un tour du monde de la salade de fruits, finir sur les routes à un milliard, qu’on soit tous là à prier pour les fruits avant qu’ils disparaissent, tous, avec les abeilles. Puis mourir. Ouais mourir avec un sourire plein de vitamines à offrir sur le visage. (CL)


Chroniques écrites par Sophie-Anna Demarcq, Steiger Amandine et Charly Lazer

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