Qui es-tu Marie Ployart ?


Sans grandiloquence vaine, tu arrives à distiller de l’absurde dans tes compositions, une forme très douce de surréalisme au sens premier du terme car on a l’impression d’aller plus loin que dans la réalité. Comment t’y prends-tu ?
Marie Ployart : C’est assez difficile de répondre à cette question car très honnêtement : je n’en sais rien. J’ai rarement (jamais) une idée précise en tête du rendu que je souhaite avoir. Tout se joue au feeling, à l’instant, très souvent mon naturel introverti m’empêche d’aller au fond de mes idées, d’ailleurs. Parfois aussi cela se passe après coup, c’est très fréquent qu’au moment de la post-prod je me rende compte que, ça y’est, ce sera *Cette photo* la photo forte de la série, celle qui se suffira à elle-même car j’aurais réussi à y mettre la dose d’incongru que j’attendais.


Comment ça se passe avec les modèles, leur laisses-tu une liberté d’action ou aimes-tu tout diriger? Qui sont d’ailleurs pour toi ces personnes que tu photographies ?
Marie Ployart : Ça dépend beaucoup du contexte. Pour les collaborations et mes projets perso, j’aime bien que le/la modèle apporte un peu de ses idées et de sa personne. Parce qu’après tout, une photo ça se construit ensemble. Si la personne est suffisamment à l’aise, j’aime bien la laisser vivre sa vie sans trop intervenir. Les séances photos dans lesquelles je me suis le plus amusée, j’ai l’impression de n’avoir été que la spectatrice….
Mais pour certains de mes projets (comme celui avec les masques), tout ce que je demande à la personne est d’être… là, figée.
Dans ces contextes-là, j’ai envie de montrer ces personnes comme pouvant être n’importe qui, que chacun puisse s’y identifier. C’est pour ça que j’aime beaucoup l’anonymat.
Quand il s’agit d’une commande autour de la photothérapie, bien sûr je suis beaucoup plus présente, car il s’agit alors de personnes qui posent parfois pour la première fois, un peu (beaucoup) angoissées. Et là, c’est tout l’inverse : la force de la série photo devient l’histoire de la personne, qui elle est, pourquoi.

Tu dis que c’est libérateur d’accepter ce que la société considère comme imparfait, peux-tu nous expliquer cette idée et en quoi elle va de pair avec ta photographie ?
Marie Ployart : Il y a un grand élan, depuis quelques temps, de libération de la parole et des corps. On semble découvrir que la cellulite c’est normal et que les femmes sont également des mammifères. Bien sûr ça ne se cantonne pas qu’à ces sujets un peu “clichés”, c’est un mouvement général. Dans tous les cas ça fait un bien fou, et je sais que la plupart d’entre nous (les femmes surtout) se sentent pousser des ailes quand elles voient d’autres femmes oser telle ou telle caractéristique, assumer. Mais ce que j’aime par dessus tout, c’est quand tout ça est rendu à la normalité. Faire une série photo sur les poils (ou n’importe quel sujet), c’est bien, mais c’est encore mettre le doigt sur une prétendue imperfection. J’adore quand la “différence” est intégrée à tout le reste, et qu’on n’en fait pas toute une histoire, car il n’y a que comme ça qu’elle est normalisée.
Je sais que de mon côté je ne montre pas encore assez la diversité, car je n’ose pas contacter les personnes sur ces seuls critères. Cela se joue au hasard et aux opportunités.




Dis moi si je me trompe mais je crois que tu as créé une page sur instagram, Safe Nipples, pour montrer comment rendre le corps des femmes acceptables sur les réseaux sociaux. Comment t’est venue cette idée ? Que penses-tu de cette censure anti-tétons ? J’imagine que ça t’insupporte au plus haut point vu ton oeuvre.
Marie Ployart : Oui, c’est bien moi ! Il faut que je m’en occupe plus d’ailleurs…
Initialement, j’ai voulu transformer un ras-le-bol en humour : comment démontrer que la censure d’instagram (et de facebook) était totalement incohérente ? En les mettant face à leurs contradictions. Donc je m’amuse à tester les limites : enlever totalement les tétons ; mettre des tétons partout sauf sur les seins ; jouer le flou sur le genre ; et aussi relayer les expérimentations du même type que je peux croiser sur instagram. J’ai prévu de prendre en photo une femme allaitant une poupée pour voir si ça passe (car avec un vrai bébé, ça marche).
Bref je m’amuse beaucoup.
Plus sérieusement, sur mes propres photos la censure m’énerve même si je peux la comprendre : les gens n’ont pas forcément envie de voir des tétons ou des fesses sans l’avoir demandé, c’est quand même très intrusif. Mais dans ce cas il faudrait alors que les plateformes interdisent aussi les photos hyper sexualisantes : une femme en string et mini-bikini dans une pose lascive pour vendre des pizzas c’est bien plus sexuel qu’un certain type de nu artistique où la nudité est simple et naturelle, et pourtant c’est totalement toléré. C’est cette hypocrisie qui m’agace.

Tu es également membre de Focal.e.s, peux-tu nous parler de ce collectif, comment tu as rejoint ces autres artistes et ce que vous faites de beau ?
Marie Ployart : Exact, il s’agit d’un petit collectif que nous avons créé à plusieurs, pour essayer de mettre en avant le travail de photographes de genre féminin/transgenres/non-binaires. L’idée est de mettre en avant nos travaux et de s’entraider, de s’échanger des actus ou des bons plans autour des concours, des expos, tout ça. Nous sommes une dizaine de membres pour le moment, on essaye de coordonner tout ça malgré la distance !

Si on te proposait de réaliser ton plus grand rêve là maintenant, que ferais-tu ?
Marie Ployart : Voyager à l’autre bout du m… nan je plaisante : la fin du capitalisme (:

Photographie : Marie Ployart
Interview par Charly Lazer

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