Doudeauville

Je longe la rue Doudeauville dans mes rêves les plus abyssaux. J’attends jour et nuit devant l’appartement de ton ennui. Le deux-pièces impersonnel me manque, ce canapé quelconque et les mauvais tableaux mi-peinture mi-photo de New-York où le plus lambda des hommes pourrait se projeter dans un hypothétique voyage qu’il fera un jour, peut-être.
Je longe la rue Doudeauville dans mes rêves les plus lumineux. Je m’arrête devant la porte vitrée un peu sale de ton Melrose Place parisien en espérant voir ton contour imprimer mon reflet. Tu es dans ma vie comme en ce moment de frontière, toi d’un côté, moi de l’autre de cette baie vitrée. Tu es terriblement proche, et nos existences si terriblement séparées.
Je longe la rue Doudeauville dans ses moindres recoins à la recherche d’un parfum oublié. J’ai l’âme égarée, courant à moitié nue, les pieds sales, dans ton quartier. Je tremble d’apprendre que tu aies pu déménager. L’appartement où j’ai voulu te baiser partout, sur le moindre meuble, le bar de la cuisine, la table branlante du salon, le canapé marron passé, la table basse trop basse et le couloir de l’entrée, partout, partout hors de ce lit que j’ai connu et aimé tellement, où tu m’as laissée à plat ventre reprendre mon souffle, où ta peau collait à la mienne si fort que je ne savais plus si je voulais qu’on se fonde l’un dans l’autre ou bien t’arracher à moi violemment. L’appartement de mes désirs effrénés, ceux que tu subissais presque, surprenants, vifs, brutaux, moi le guépard, toi la gazelle, lorsque tu pensais sortir prendre un café dans ton repaire préféré et que je n’avais plus qu’une vision nette, rouge, vive et extrêmement précise de ton membre entrer et sortir de tous les orifices de mon corps. Je t’aurais arrêté mille fois dans ce couloir si je le pouvais.
Je longe la rue Doudeauville, désespérée à la recherche d’une épicerie de nuit encore ouverte où je pourrais acheter tout le stock de citrons pour que tu sois obligé de me les acheter à moi le lendemain matin pour ton étrange cocktail d’acidité. Ça te purge, ça te fait du bien, tu me dis.
Je longe la rue Doudeauville, en arrêtant tous les taxis pour retrouver celui dans lequel tu as glissé ta main sous mes collants cette tendre soirée où les étoiles nous regardaient doucement naître. La lune jalousait dans son coin nos éclats de rire, nos débats fantasques sur le théâtre de l’autre continent et le miel partagé de nos lèvres lascivement enlacées.
Je longe la rue Doudeauville encore parce que je suis bien trop pressée, il est un souvenir qui m’échappe, puis deux, puis trois, sans que je puisse les raccrocher au fil de ma mémoire. Je sens se dérober sous moi le trottoir parsemé de tâches, je confonds le bitume trop chaud et le froid du carrelage de chez toi, le nom sur ta boite aux lettres se brouille quand je tente de raccorder les lettres entre elles, je tends la main de tous mes nerfs au-dessus du vide et tente d’attraper tes vêtements, tes pores, tes cheveux, ton odeur et le velours de ta voix alors que tu files déjà.
Je longe la rue Doudeauville, de haut en bas, sans m’arrêter jamais. Dans mes rêves les plus indigos, je regarde la nuit sans nuages sans parvenir à compter les étoiles et tu n’as jamais existé.
Nouvelle : Manue Delplace
Illustration : Victor Hussenot

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