Casser une Assiette dans les Vagues

Cette nuit je rêve, un départ à la mer avec toi, nous étions solaires et légers. Je revois les feuillages, très verts, sortir des dunes, le paysage était tout de dunes, beige et vert, très foncé par endroits. Je ne voyais pas la mer je crois tout en sachant y être. Je te parlais, de souvenirs, de l’envie d’aller à Barcelone avec toi, et quelque part nous y étions (longer la côte) nous y étions sans y être, dans cette ville douce à notre amour, où j’ai ce souvenir vivace d’une course poursuite dans les ruelles, une course poursuite vivace et érotique, où je soulevais soudain ma robe, blanche je me souviens, pour te montrer ma culotte (ou son absence).

Je pense à toi, doux-amer, depuis deux jours. Cet élan de mer qui ne trouve pas de réponse, pour la seconde fois, oui, je me souviens, de cette proposition que je te fis d’aller à la mer, j’avais cette envie très forte, c’était encore un moment de retrouvaille doux-amer, je voulais aller à la mer et casser une assiette dans les vagues, mazel tov, casser une assiette dans les vagues pour faire renaître notre amour. Maintenant je pense à cette expression, recoller les morceaux, qui s’apparente à un bricolage monstrueux. Peut-être que ces pensées sont le chant du cygne et que quelque part ta réponse m’attend. Peut-être je sens cet éloignement et m’en rapproche, chant du cygne. J’ai songé à la douceur de tes yeux, à la douceur humide et sensuelle de ta bouche. Je me débats avec les temps verbaux, je ne sais qu’utiliser du présent ou du passé ; je pense au futur parfois, bizarrement je n’y mets jamais de conditionnel.

Je sais être une partie de ton corps, divers morceaux de moi émergent en toi, se baladent sur ta peau, dans tes organes et tes fluides. Ces morceaux de moi sont vivants, ils circulent, à grande vitesse, ils circulent, dans ton corps se multiplient des morceaux de moi, des morceaux d’entités autres, qui cohabitent harmonieusement et forment une sorte d’unité irrégulière en toi. Je ne vois ton corps que mouvant, fourmillant, pas de matières lourdes, ni de contours nets, la bordure se meut, elle se mêle à ton entour. Les couleurs des dunes se mêlent à celles de ta peau, légèrement dorée, je vois la lumière émaner de ton visage, de tes yeux sortent des flots de lumière, tu es toi-même la mer qui bouge, qui m’enveloppe, tu circules sur mon corps, entres par quelques trous, glisses et m’entoures.

Je me souviens de cet orgasme de vague et de sel, de cette chanson, sapore di sale, de nous deux dans cette mer en train de jouir. La lumière se tamisait et je sentais la mer, le sable et la lumière tamisante jouir avec nous. Même si après nous pleurions, regardant de haut la mer, rejetant de l’eau salée de nos corps par excès de hauteur, nous pleurions, j’ai oublié pourquoi.


Nouvelle de Colette Leopard.

Illustration de Marion Soullier.

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