2069 : A Sperm Odyssey

   Le 6 septembre 2069. Le jour J était enfin arrivé. Son invention était prête, le fruit de mois et de mois de labeur acharné, à travailler soir et weekend. Zictor l’avait fait! Il avait créé un appareil à remonter le temps, et qui plus est portatif et pas plus grand qu’une télécommande tenant dans la main. Cela faisait 3 ans, depuis qu’elle était arrivée à la Globax Corporation, qu’il convoitait secrètement sa collègue de bureau Hectoline. Ah, Hectoline… Et il avait mis au point tout un stratagème pour enfin la posséder. Certes, la méthode était quelque peu alambiquée mais tous les moyens conventionnels étaient hors de portée pour lui. Et puis quoi, discuter avec elle à l’amphétaria ? Tellement ringard. Non, il avait trouvé le moyen ultime de lui déclarer sa flamme, libéré de toutes les conventions sociales.

   Il était déjà tout excité à l’idée de ce qui allait enfin se concrétiser. Debout dans les toilettes, son sexe turgescent dans une main et la télécommande dans l’autre, il se tenait à un endroit bien précis qu’il avait calculé en fonction de la taille d’Hectoline et de son maintien. Il savait qu’elle était passée aux toilettes 15 minutes avant. 15 minutes qui le séparaient du bonheur total. 15 minutes qu’il n’avait qu’à remonter pour apparaître exactement face à l’objet de toutes ses convoitises et lui montrer tout le tumulte qu’elle provoquait en lui. Il régla le timing et appuya sur le bouton « Start ». Un grand flash l’aveugla. Puis pendant quelques secondes, ce fut l’obscurité, il ne sentit plus son corps, tel une entité immatérielle. Un nouveau flash et voilà, il y était à cet instant magique, la grande conjonction temporelle, ce moment de grâce tant attendu. Si tant est que l’on puisse attendre un instant passé.

   Comme prévu, Hectoline était là. Il était nu face à elle, le sexe pointé vers cette bouche pulpeuse et grande ouverte par la stupéfaction. Elle s’exclama : « Oh, Zictor! Mais… » puis elle marqua un temps de pause. Elle aurait très bien pu s’offusquer de cette situation, auquel cas il n’aurait eu qu’à remonter un peu en arrière dans le temps pour effacer ce moment embarrassant, comme si rien ne s’était passé. Mais par chance, elle fut emballée par l’originalité de cette invitation surprise. Elle se mit à caresser tendrement la verge qui lui était offerte, puis l’enfourner goulûment dans sa bouche sans s’interroger outre mesure à propos de cette apparition spontanée. Après tout, il se passe tellement de choses étranges dans le monde, on n’était plus à ça près.

   Toujours assise sur la cuvette, ses cheveux châtain clair retombaient sur le col roulé de son pull de laine écrue, lui-même remonté au dessus de son nombril. Le reste de son corps était nu, son pantalon et sa culotte descendus à ses chevilles. La succion faisait perler sur son menton quelques gouttes de salive qui allaient atterrir sur la pilosité de son bas-ventre. Celle-ci n’avait que quelques jours et commençait à reprendre magnifiquement ses droits autour d’une vulve d’un rose tendre et luisant. Zictor sentait monter la sève le long de ses corps caverneux. Envahi par le plaisir, il lâcha par mégarde la télécommande. Celle-ci, en heurtant le sol, se dérégla et lui fit faire un bond de quelques heures dans le futur. « Mais enfin, Zictor!!! Que faites-vous ici?!! » hurla son patron, le derrière à l’air et un bout de papier souillé de marron dans la main. Horrifié par cette vision, le jeune homme pianota en hâte les touches de sa télécommande pour échapper à cette honteuse conjoncture spatio-temporelle. Et débandante, qui plus est. La machine s’emballa à nouveau et il fut projeté très loin dans le temps. Trop loin. Beaucoup trop loin.

   Il ouvrit les yeux, les toilettes avait disparu. Le building autour de lui avait disparu. Et même la ville tout autour avait disparu. Il baissa les yeux et se rendit compte qu’il flottait à 30 mètres d’altitude, le vide sous ses pieds. Une fois les quelques secondes de rémanence temporelle écoulées, il finit par tomber en chute libre. Fort heureusement, il se trouvait à la verticale d’un grand lac qui amortit sa chute. La plongée dans l’eau glacée le tétanisa et la remontée à la surface lui parue une éternité. Il lui fallut ensuite cinq bonnes minutes de nage exténuante pour gagner les bords du lac.

   Il se traîna sur le rivage, dépité d’avoir touché du doigt le bonheur pour le perdre aussitôt. Il n’avait même pas eu le temps de jouir. Avait-il avancé ou reculé dans le temps? Et de combien d’années, siècles ou millénaires ? Il ne le savait pas. Ce dont il était sûr, c’est qu’il était maintenant piégé dans cette époque inconnue, sa machine temporelle ayant sombré dans les profondeurs du lac. Ainsi commençait son odyssée sexuelle…

   Autour du lac, il n’y avait que des plaines et collines verdoyantes à perte de vue. La mégalopole grouillante de vie n’étant plus là. Ou peut-être pas encore là. Toujours nu comme un ver, il entreprit d’explorer les lieux en vue d’un quelconque abris ou moyen de subsistance. Il arpenta des hectares d’herbe grasse pendant des heures, croisant de temps en temps d’étranges grenouilles violettes ou des scolopendres jaunes fluo. Jusqu’à ce que, au détour d’un mont, il s’arrête net, figé par la stupéfaction. Devant lui, se dressait à la verticale un grand bloc rectangulaire de couleur noire. Un noir profond qui semblait absorber toute la lumière qui venait le toucher. Il était fait d’une matière si lisse qu’on ne pouvait déceler aucune texture, pas le moindre défaut à sa surface. Il en fit le tour prudemment puis s’approcha pour l’observer de plus près. Il écarquilla les yeux. Au centre de l’une de ses deux faces, le monolithe arborait une vulve…

(À suivre)


Nouvelle de François Harzak

Illustration par Charles.Bossart

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