Sécrétion Story

     Ses yeux sans pupilles et sans iris luisaient dans le noir, deux globes d’un pourpre uni qui lui donnaient un regard vide et aveugle. Il n’y avait de toute façon nulle chose à voir dans la nuit perpétuelle de la caverne. Son corps pâle émergeait de la paroi rocheuse, la poitrine saillante et les genoux en avant. Ses poignets et ses chevilles étaient enfoncés dans la roche, la rendant immobile et figée telle la figure de proue d’un navire. Seul son bassin était mobile et effectuait de lents mouvements de va-et-vient, d’avant en arrière et de haut en bas. Une longue stalagmite se dressait devant elle et, dans un mouvement cyclique, elle y empalait sa vulve, faisant ruisseler le fruit de sa jouissance le long de ce phallus millénaire.

     Elles étaient plusieurs dans la grotte à exécuter le même rituel masturbatoire, leurs lèvres esquissant de légers pincements et autres mimiques de plaisirs. Leurs râles et leurs soupirs allaient se mêler aux bruits humides de la grotte et au cliquetis de la cyprine gouttant à terre, dans un étrange concert qui résonnait dans tout le réseau de galeries souterraines environnant. À leurs pieds, leurs sécrétions ruisselaient dans les replis de la roche et allaient se noyer dans un plus grand ruisseau, alimenté par des dizaines d’autres grottes habitées par leurs congénères. Au sein de la montagne, des dizaines de ruisseaux semblables affluaient vers le même point et émergeaient du flanc de la montagne telle une éjaculation féminine perpétuelle.

     Eléa était nue et laissait la trace de ses pas gracieux sur les galets encore humectés par la rosée matinale, prête à s’évaporer sous la chaleur du jour naissant. Elle contemplait la cascade qui se déversait dans une cuvette montagneuse d’un bleu froid et profond. Elle la trouvait particulièrement abondante aujourd’hui. Soudain un bruit caverneux la saisit, il provenait tout droit de la montagne et ressemblait à un gémissement rauque et guttural. Se disant qu’il devait s’agir d’un oiseau, elle oublia bien vite son émoi et plongea de tout son long dans le liquide azuré. L’eau fraîche tourbillonnait autour d’elle, caressant le moindre recoin de son corps et faisant onduler la pulpe des parties charnues de son anatomie.

     Puis elle regagna la terre ferme, ravivée par ce bain matinal. L’eau ruisselant de ses cheveux se frayait un chemin impudique qui allait du creux de son cou jusqu’à ses orteils. Elle en soupira de plaisir et ouvrit les yeux d’un coup sec, ses yeux bleus avaient laissé place à deux globes d’un violet laiteux et opaque. Elle se raidit et marcha lentement, les bras dressés vers l’avant telle une somnambule. S’immisçant à travers quelques buissons, elle arriva à une ouverture caverneuse et s’enfonça dans l’obscurité des entrailles de la montagne, happée par une toute nouvelle destinée. On ne la revit plus jamais.


Texte de François Harzak

Illustration de Julia Richard

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