Gaule, Éluard et Les Bruits Du Monde

J’entends ta voix dans tous les bruits du Monde, Paul Éluard.
Le cours de linguistique
Le chat – joue – avec la souris – avant de la manger. C’est ce qui est écrit à la craie sur le tableau, blanc sur noir, à quelques mètres de ma table coloriée par les années. Tu veux jouer avec moi ? Le garçon d’à côté ne s’intéresse pas aux propos du type grisonnant en face de nous. Moi non plus, et je me languis de toi. Le garçon se penche sur son sac et sort un livre, de seconde main de toute évidence. Il s’apprête à l’ouvrir. Il met un temps fou à se décider, lui. Cette lassitude qui m’envahit depuis peu, c’est un poids sur mes paupières chaque matin quand je me réveille. Je n’ai pas envie d’affronter le gris, je me sens bien dans la couleur de mes yeux fermés. Le garçon semble enfin avoir trouvé une fin à son problème existentiel. Il fait glisser la première page de son livre. Je regarde ses doigts en chatouiller la couverture. Je n’arrive pas à en lire le titre. Il tourne une autre page, son doigt continue de s’agiter sur le torse d’une femme-fauve, photographie en couleurs. Je me cambre un peu plus sur ma chaise, l’oreille tendue vers un bruit venant de par-là. Quelque chose dans le bas de mon ventre vient de me chatouiller moi aussi. Il me murmure que c’est toi. Le garçon tourne une autre page, j’en reconnais le bruit. Un bout de ta voix. Je t’entends gémir. Mes poils se font érectiles, j’ai envie de me caresser l’entrecuisse. Mon corps est en érection, droit, soudainement agité. Il se réclame de la fièvre, il te réclame de la sueur. Il tourne une page et ses doigts s’enfoncent dans la femme, sans s’attarder sur ce qu’ils abîment. Mon corps s’agite encore, il voudrait que tu lui procures encore un peu de douleur. Que tu le pinces, que tu le griffes. Il te demande de le saisir à pleines mains pour le mordiller quand le désir t’habite. Et que ta bite s’y frotte à n’en plus pouvoir s’en décoller. Encore une page. J’ai la tête qui tourne, je tripote mon stylo frénétiquement. J’ai fermé les yeux depuis quelques minutes, mon con m’a déconnecté. La souris. Mange le chat. Non, ce n’est pas ça. Ma chatte me sourit, elle rigole et jugule tout en moi. Encore une page. Ma bouche s’entrouvre lascivement, elle veut déverser toute sa salive. La saveur. Elle se souvient de ce qu’elle laissait sur ton sexe. Une trace pour s’approprier tes pensées. Encore une page. Une trace qui t’a fait invoquer Dieu. Je t’ai entendu. Je salive impulsivement, mon pouls s’accélère et tambourine dans chacun de mes organes. Donne moi un orgasme, donne moi ta main, prête moi ta langue. Glisse la entre mes lèvres, attrape ce qui t’en revient. Et puis, recommence un peu plus bas. La page est tournée ? Je suis enclavée dans cette salle de classe. Il n’y a que toi qui me percute. Mes oreilles t’écoutent gémir tous les cinq-cent mots. Ma bouche s’occupe de ton stylo-bille, humide. Ma langue s’arrête toutes les deux respirations sur le capuchon, rouge. Le chat mange la souris. Mes mains s’accrochent au dossier de la chaise, elles s’agrippent à tes poignets. Te compresser, de toutes mes forces. Une page, moins de mots. Moins de vide, plus de cul. Je me dandine sur ma chaise et ma jupe remonte honteusement sur mes fesses. Le coin du siège s’empresse d’embrasser un peu plus mes lèvres. Encore une page, tu trembles. Je te sens venir. La page tourne, dernier acte. J’inonde la pièce, Tempête de plaisir. La page. Tu jouis, je l’ai encore en bouche. Le garçon d’à côté me fixe. Il a senti. La dernière page lui est restée dans la main.
La sieste au Parc
Je suis allongée dans l’herbe tiède. J’avais besoin d’une trêve, de m’abandonner un instant. Le soleil me brûle les bras et j’ai le corps en feu. Les gouttes coulent le long de mes reins, se rejoignant alternativement dans les deux fossettes du bas de mon dos. J’ai tenté de m’allonger en laissant mes jambes redressées, je voulais un peu d’air. Mais ma jupe laissait voir ma culotte. D’habitude, je m’en fiche. Mais je n’aime pas celle que j’ai mise aujourd’hui. Je ne veux qu’ils la voient, que tu l’aperçois. L’après-midi est moite et toute la ville sue avec moi. Sur le chemin, je n’ai croisé personne. Ce parc est mal fréquenté ; des mauvais garçons, des jeux pour les grands, uniquement. Quand je m’allonge, je pense à nos jeux pour les « très grands ». Ce n’était que des sms-prétextes pour se toucher le sexe. Tu me chatouillais avec des belles phrases, je te caressais avec des belles images. Mes doigts s’excitaient sur l’écran du téléphone. Ils me démangent de nouveau, d’ailleurs. Je tourne la tête vers la droite. Un buisson, et quatre pieds emmêlés. Mon visage est collé à la pelouse et mes mains me démangent toujours plus. Et les tiennes, elles sont occupées maintenant ? Je commence à caresser frénétiquement l’herbe autour de moi. Une fleur se glisse entre mes doigts et je la cueille, aveugle. Une marguerite, moins deux pétales. Dommage. Je poursuis la danse échevelée de mes doigts dans l’herbe. Ils sont émus, parce qu’en terrain connu. Leur élan est boitillant, fractionné parce que freiné par quelques brins qui résistent. Mes doigts connaissent cette cadence, celle de ma main sur le bas de ton ventre, après avoir baisé tout l’après-midi. La caresse n’est pas aussi paisible que mon geste, ton pubis colle. D’une méchante impulsion, j’arrache une poignée d’herbe. Elle crisse alors dans ma paume. C’est comme une plainte cristalline et presque étouffée, si ce n’est ce murmure crépitant qui me fait immédiatement frissonner. Je t’entends, je t’entends de nouveau. C’est ce soupir, habité, celui qui sort de ta bouche entrouverte quand ton sexe se perd dans la mienne, grande ouverte. Inlassable, j’arrache encore une poignée d’herbe en la laissant se plaindre jusqu’au bout. J’y entends le râle du plaisir, j’y entends que tu gémis. Je te fais mal ? Délassée, je laisse mon corps entier s’abandonner dans la végétation qui s’offre à lui. Mes jambes se sont relevées, réveillées par tes cris. Mon bassin s’agite, ébranlé par le souvenir de ce que tu lui faisais subir. Il y a cette brise qui s’est glissée entre mes cuisses, comme ton souffle chaud quand ta tête s’y aventure. Je ne vois plus que tes cheveux que j’agrippe pour sentir la progression de ton acharnement. De l’herbe, partout autour. Dans la main, dans mon cou, sous mes chevilles, dans mes fesses. J’étends mon bras plus loin pour m’agripper encore plus fort. J’arrache. Je jette les brins partout sur moi. J’arrache tout ce qui me vient, mon chemisier s’en souvient encore. J’arrache et je t’entends éclater de désir. La pelouse succombe à mon caprice et les brins d’herbes cèdent à mes ardeurs. Je me retourne, me relève et empoigne tout ce qui croise mes doigts. Ça craque dans ma main, ça coule dans ma culotte. Je t’entends rugir. De l’herbe, partout. Une dernière poignée que je dégorge, échauffée, répand ton cri dans l’air tiède du parc. Les brins d’herbes s’échappent de ma paume et se déversent sur moi. J’ai le visage couvert de fleurs et de sueur, j’ai le visage couvert de toi.
Le bain du soir
J’ai besoin de prendre un bain, de me laver des autres. Je me déshabille en jetant mes vêtements sur le sol, comme d’habitude. C’est un soir comme beaucoup d’autres, un soir où je pense à toi. Tu l’aimais beaucoup ce t-shirt. Il sent mauvais, excédé de la journée. Je fais couler l’eau et m’impatiente. J’ai froid et des frissons se dessinent déjà sur mon corps. Mes seins ronchonnent. La baignoire est remplie aux deux tiers, j’y plonge mes chevilles en premier. Puis mes fesses s’y trempent timidement, entraînant mon pubis avec elles, misère anatomique. Je me déplie méthodiquement dans la baignoire. J’ai oublié mon livre sur la table du salon. Merde. Je me détends un peu. C’est une superbe invention l’eau chaude. Je me soulève dans un dernier effort pour fermer le robinet. Je m’allonge et laisse tomber mes bras sur mes hanches déjà bien installées. CLOP. J’avais presque oublié que le robinet fuyait, parfois. CLOP. Deuxième goutte qui me rejoint dans l’étendue d’eau chaude. La baignoire fume, je laisse mon esprit divaguer. Il se heurte à des limites, il se heurte à tes bras. Une goutte. Mon corps se détend et je t’entends. Ce son qui se perd dans un bref écho, fugitif mais généreux, il a l’éclat de ton absence. CLOP. Il me chante pianissimo des vers érotiques en claquant les mots brutalement pour ne pas leur permettre de m’imprégner. Mes jambes, asservies, se laissent embarquer par ce récital. Mon bassin, insurgé, se laisse aller à quelques va-et-vient. CLOP. Mes doigts disparaissent en un plongeon, ils deviennent flous, sous-marins du plaisir. Ils ont trouvé l’entrée, la bouche haletante. C’est chaud à l’intérieur. Ca devient brûlant en très peu de temps. Tombe une goutte d’eau, encore. Tu as toute mon attention, alors tu continues ? Je commence à caresser, avec mon pied, le robinet qui vient de t’imiter. Il tente de m’abuser. Je m’immisce dans le chant de ses courbes encore brûlantes. Mes doigts de pied l’encerclent en son bout, en font le tour et glissent tout du long pour, dans une dernière descente, plonger autant que possible dans son trou. CLOP. Tu me murmures des choses insensées, des mots censurés. Des incendies, c’est indécent. Ta goutte coule le long de ma jambe, répond à la gravité. Elle se noie après être arrivée, au doigt mouillé, à l’intérieur de ma cuisse. Je t’ai senti frémir. Le bout de mes seins a durci. L’eau en câline les bords et dessine des cercles de tendresse à la surface de l’eau. Des petites vagues qui t’embrassent. Je me baigne dans l’extase le plus immoral. CLOP. Toujours en immersion, mon doigt s’est allongé un peu plus facilement, est revenu un peu moins rapidement. J’invite mon index à le coller, à te serrer. Mes deux amis sont tourmentés, mon entrecuisse les oppresse toujours plus. Ils se plaisent à faire des tours, des allers-retours. Ils effleurent les contours, j’ai les lèvres qui tremblent. L’horizon du bain tangue vigoureusement. CLOP. Je me fais mal au pied en l’enfonçant plus profondément dans le robinet. La jouissance me submerge, les seins hors de l’eau, propulsés par le plaisir. Je chavire et mes cheveux sont trempés. Encore une goutte. Mon corps entier s’est incliné et, dans un cri embué, je me suis répandue dans l’eau du bain. Ma tête a chaviré, engloutie, j’ai joui sous l’eau, sans bruit.
Tu me manques, et je t’entends gémir dans tous les bruits du Monde.
Texte de Romy Lux
Illustration d’Anne Mathurin

- édito
- Les Matins Éternels
- Nyctalope
- Nuit Blanche
- Mixtape d’Amour par Akzidance (Tropicold / Sidi&co)
- Lost in Nikko
- Brève Nocturne
- Nuitée Féebrile
- Sécrétion Story
- Toi Mon Insomnie
- Bite
- Noche
- Extrait de mon premier roman qui sortira peut-être jamais
- Zeus Red
- La Nuit Appartient à Dubais
- Miss Louise
- Godes et Maux de Passe
- Rencontre Nocturne
- Gaule, Éluard et Les Bruits Du Monde
- Elle Court Avec Les Loups Quand Le Soleil Se Couche
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- Indéros N°18
- Peau Froide, Nuit Chaude