Extrait de mon premier roman qui sortira peut-être jamais

     […]

 

     La nuit pose dans le ciel, des cumulonimbus transparaissent et filtrent la lune. Silencieuse et apathique se fait la sérénité lorsque j’entreprends de songer à l’étreinte captivante de deux amants dont moi en diagonale sur un lit. Faire l’amour sans coussin ni frein revient à balancer le bon sens que certaines pauvres gens sauvent de la biodégradation aux orties. Et moi je reste planté là, comme un Balavoine, comme un arbre millionnaire qui attend son apocalypse en contemplant la nuit qui danse le calypso dans sa robe de putain estivale, de nectarine sur le point d’exploser.

 

[…]

 

     – On prend nos caisses et on va se choper des putes, ça te branche?

     – Je suis en métro.

     Le type enfile une veste trois-quart et c’est en apercevant les trois mecs derrière qui ne ressemblent à rien que je prends conscience que ce réveillon n’est en fait pas une soirée déguisée. Je suis assis sur la cuvette, le visage dans les mains et je pisse profondément. J’essaie de respirer mais tout ce que je parviens à faire c’est rire de façon flippante. La porte s’ouvre sur ma collègue, je la vois descendre sur ses genoux pour me demander si elle veut me déposer. Je lui réponds “si ça te fait plaisir”. Elle me prend par le bras dans l’escalier et me parle des aventures en cours, ces bisous que j’ai pas vus puisque je rêvassais sur le marbre. Je veux revoir le papier peint. Sa poigne vigoureuse m’empêche d’y retourner. Je répète quand même jusqu’à la voiture que ce papier peint était fabuleux et que j’en rêverais des nuits durant, que si je mourrais ce soir je voudrais que ce soit la seule image qui soit projetée, pour l’éternité. Quand nous arrivons à son domicile, elle se précipite dans la salle de bains et ce qui en sort avait changé Sandy en Lucie, voisine de bureau, collègue émérite, en nuisette. Je n’ai pas la moindre idée de ce qui a changé. Je me contente de lui demander si son cul est toujours vierge. Où ai-je la tête d’après elle, je ne faisais que me poser la question rien de plus. Je suis un type franc, elle se plaint toujours des connards qui disent pas ce qu’ils pensent et qui ne font pas ce qu’ils disent. Elle montre du doigt la salle de bains encore éclairée, j’y entre, j’ai encore mon visage, je suis rassuré. C’est dur de parler de soi dans son propre reflet, elle me dit de la boucler, que je raconte que des conneries et que je ferais mieux de venir la galocher comme si on était au lycée et que les parents étaient en vacances en Egypte. Quelque chose ne tourne pas rond dans sa tête. Elle s’est allongée par-delà les draps, une jambe légèrement repliée sur elle-même. Elle se mordille la lèvre, je marche, je me déshabille en marchant, elle ne perd pas une miette du spectacle de ma chute et a un geste affectueux pour moi, une réaction. Ça lui plaît trop de m’avoir là. Le visage à quelques centimètres de son pied lisse et blanc. Le visage aplati dans les draps, c’est comme quand on survole les nuages, sauf qu’à la place des ailes qui tremblent et qui ont l’air d’avoir envie de prendre l’air, il y a ce pied mort qui m’effraie dans son inertie. Mes paupières, proie des turbulences. Peut-être que l’image transformée par la vision d’un seul œil provoque un semblant d’apaisement dans ce vertige général. Puis le gros orteil se contracte, je vois l’os puis le doigt et enfin l’ongle se relever comme un lémurien. Les nuages se mettent à bouger en même temps que son pied tout entier qui vient se poser sur mes cheveux. Quand ma mère me grattait les cheveux sans raison, avec ses mains, ça me mettait hors de moi, le fait qu’elle le fasse avec ses pieds me procure du plaisir. Nous ne sommes plus à une précaution hygiénique près, elle le sait, qu’il ne faut pas me gratter les cheveux avec les doigts, mais qu’avec ses pieds elle peut tout faire. Tout. Ce qu’elle fit, à plusieurs reprises, mais pas cette nuit-là. Devant notre incapacité de trouver l’érection qui lui sied, elle laisse tomber et vaincue s’endort et prend sa voix la plus suave pour m’en avertir. Le bus arriva finalement à la gare routière et ce fut un concert de klaxons, les jeunes qui avaient peuplé le bus et quitté le campus rentraient les uns après les autres dans des voitures longues comme des chipolatas.

 

[…]


Extraits d’un roman à achever par Charly Lazer

Illustration de Julia Richard

Page suivante →
sommaire